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J’ai été hospitalisé à plusieurs reprises dans des hôpitaux psychiatriques différents ; ce que j’ai vécu au cours de ces séjours non-volontaires est très contrasté. Décrire un vécu hospitalier en psychiatrie est délicat ; le fait de délirer sur un mode psychotique, biaise notablement la perception du contexte dans lequel l’on est immergé. Je vais toutefois tenter l’exercice sans garantie d’objectivité, mais avec la volonté d’être honnête.

  

Campagne de la poste du Canada en 2011. Le but était de sensibiliser la population aux multiples facettes de santé et de  la maladie mentale

Mes hospitalisations ont correspondu à des situations de crises aiguës. Par moment, j’étais profondément agressé par des hallucinations et mes délires paranoïaques me rendaient la vie presque impossible. L’idée d’aller en psychiatrie n’était pas rassurante ; je pensais que les soignants faisaient partie intégrante des personnes qui complotaient contre moi. Il faut bien comprendre, que pour moi ; il était clair que je n’étais pas malade ; j’étais agressé par des êtres maléfiques qui se situaient sur un autre plan ; le problème relevait de l’ésotérisme et absolument pas de la psychiatrie. C’est donc dans des situations extrêmes que j’ai fini par être hospitalisé ; il a fallu que je sois agressé en continu par des voix et cela  pendant plus de trente heures, pour que j’en arrive à penser que l’hôpital pouvait être une solution.

Campagne de la Poste française en 1958

Philippe Pinel – Médecin aliéniste qui fut l’un des premiers qui sut introduire de la douceur dans les soins aux malades mentaux. Un jour de 1794, il fit ôter les chaînes des fous de l’hospice de Bicêtre. A la surprise générale, non seulement ceux-ci ne se jetèrent pas sur lui, mais certains le remercièrent. Cette enveloppe est également intéressante du point de vue des représentations de la folie qu’elle véhicule à travers les personnages « des patients ».

De manière très générale, je dirais que l’hôpital a été un point de chute alors que je ne savais plus où aller ; que j’étais en danger ; c’était une solution de dernier recours. D’autre part, compte tenu de l’isolement social dans lequel je me trouvais, les hospitalisations m’ont permis de retrouver des relations humaines ; de retrouver un certain cadre de vie. Lors de ma dernière hospitalisation, ce qui a été mis en place par rapport à mes proches a été d’une grande aide pour la suite.

Un aspect plus difficile de mes expériences hospitalières concerne la relation avec les professionnels ; j’ai l’impression d’avoir beaucoup plus croisé de personnes que d’en avoir véritablement rencontrées. Les seuls moments où j’ai eu le sentiment que l’on cherchait réellement à comprendre ce que je vivais étaient les périodes d’admissions. La visée diagnostique amenait à me questionner sur ce qui m’habitait sur le plan intérieur et j’étais soulagé de pouvoir enfin partager mon vécu traumatique, ma manière d’envisager ce qui m’arrivait. Une fois l’hospitalisation effective, les professionnels ne semblaient plus vraiment s’intéresser à ce que je vivais sur le plan intérieur, qui était bien entendu de l’ordre du délire, mais qui faisait mon quotidien… C’est comme si une fois que l’adjectif délirant avait été posé les soignants ne voyaient plus de sens à explorer ou même simplement à permettre l’expression de ce que je vivais. Cela m’a amené à largement désinvestir la relation avec les soignants pour plus partager de choses avec certains patients, qui semblaient mieux me comprendre. Comme je souhaitais sortir rapidement, je faisais d’importants efforts pour paraître le plus normal possible; pour pouvoir échapper à ce que je vivais comme « l’étau de l’hospitalisation non-volontaire ». J’avais renoncé à être honnête. Du point de vue de l’expérience, c’est comme si vous étiez plongé dans un contexte où l’on parle une langue qui vous est étrangère et que personne ne semble s’intéresser à ce que vous tentez d’exprimer ; vous risquez de rapidement  vous décourager et de renoncer à investir les relations.

Ce vécu comme patient m’interroge en tant qu’ancien professionnel de la psychiatrie. Je dirais que ce que j’ai appris dans ces situations ; est que le fait d’établir une relation de qualité, est  probablement plus important que de vouloir à tout prix « ramener l’autre dans la réalité ». Les orientations toujours plus neurologiques et cognitivo- comportementales de la psychiatrie posent la question de la place donnée à la parole de la personne qui délire. Jacques Lacan incitait l’analyste à être « le secrétaire » de la personne délirante; cela ne consistait pas à poser des interprétations ou à délirer avec le patient, mais à prendre avec la plus grande considération ce que disait la personne et à lui permettre de construire sa solution à travers sa parole. C’est à mon sens en donnant une véritable place à la parole de la personne psychotique qu’il est possible de l’extraire de son isolement et d’ établir avec celle-ci un lien significatif. A travers mon expérience, j’ai l’impression que c’est à travers des relations investies, qu’il m’est devenu possible de partager à nouveaux certaines valeurs et représentations sociales non délirantes; dit autrement, d’aller dans le sens du rétablissement.

 

Carte publiée par le Conseil International des Infirmières à l’occasion des 100 ans de la profession en 1999

Vous trouverez ici quelques-unes de mes expériences concernant la médication